mardi 4 octobre 2016

jeudi 14 janvier 2016

Hateful Eight - Quentin Tarantino

2015

Engoncé dans son manteau de trappeur et bien calé sur la banquette de la diligence lancée au galop dans une course folle contre le blizzard, le chasseur de primes caresse son gun avec respect,collant de temps à autre quelques baignes bien senties à sa prisonnière. Le ton est donné : on assiste, impuissants parce qu’enchaînés à notre bourreau par le poignet, à une interminable escroquerie tissée dans le fil d'une flagornerie animale, primaire et débilisante. Plus molle qu'une bite d'eunuque, l'ouverture pleine face sur le christ frigorifié nous souffle l'étendue du désastre : en arrière plan, des chevaux s'escriment et piaffent de toutes leurs forces, et pourtant, les molécules stagnent, on fait du surplace sur cette route tracée d'avance, que l'on devine parsemée de dialogues faussement percutants, entrecoupés de scènes juteuses, finies au foutre et à l'hémoglobine. 



Le cul entre deux chevaux, Tarantino persiste à nous assommer avec sa mise en scène plombée in vitro par les références , si bien que l'intérêt du film s'embourbe rapidement dans la poudreuse, et finit par s'évaporer en crachotant de sombres volutes ennuyées, non sans avoir supplié le Maître de lui tendre un bras, une corde, n'importe quoi de tangible afin de se sauver. 
8 salopards bileux et bavards que rien n'arrête, à l'image de ses 8 films qui trouveront toujours preneurs, quand bien même le réalisateur ne montre rien, ne sublime rien, offrant le triste reflet de sa propre vanité crasse à boire à ses victimes, prêtes à tout pour se réchauffer. D'une épaisseur louche, la gorgée de café marron irradie l’œsophage d’amertume, flinguant tripes et boyaux, transformant les êtres en charognes sans éclats qui, une fois repues, se plaisent à dégobiller leurs échecs, en gerbes mouillées, à la face des incrédules. Les boules éclatées par le plomb, le regard révulsé, petit cow-boy crâneur se hisse tant bien que mal sur le matelas immuable, planté au centre de la pièce, témoin moelleux de cette vaine épopée, pressé d'absorber, et ce, jusqu'à la dernière goutte, le poison vermeille des corps brisés par l'abandon.

mardi 29 décembre 2015

Ni le Ciel ni la terre

Clément Cogitore - 2015


Une poignée d'Anges aux ailes de mitraille montent la garde autour du Sanctuaire , le coeur battant. Du haut des crêtes aux reflets d'Or, quelques bribes leur parviennent : des villageois en peine, attroupés près d'un feu vengeur, marmonnent, sur un ton de défi, leur insoumission. Si l'on prête attentivement l'oreille il est possible de percevoir les sanglots d'un mouton abandonné, dont la chair crépite dans l'âtre, tout en retenue. Les Hommes n'ont plus leur place, ici-bas. Cette Terre fertile en artifices, pétrie dans une poussière Spirituelle de premier choix n'a rien à offrir à celui qui ne s'abandonne pas totalement à Lui.
Lui qui d'un regard transperce la nuit verdâtre, nul besoin de lunettes de visée.
Lui qui se délecte de la respiration de l'homme endormi tout en caressant la nuque d'un chien aux poils entremêlés de songes , lui qui..
Se terre dans des profondeurs insoupçonnées, les entrailles d'une carcasse de soldat preux.

lundi 28 décembre 2015

Mommy

Xavier Dolan - 2014


D'or et de miel sont ses cheveux dans lesquels je passe une main tremblante, malgré mes efforts pour contenir mon trouble. Couché sous une voûte criblée de loupiotes, son corps imprime un doux parfum de vanille sur les draps qui hument et mordillent des petits bouts de songe. Cet ange pétri de ma chair répond au nom de Steve, langue écrasée contre les dents du haut qui claquent lorsque je l'appelle, lèvre inférieure frôlée amoureusement lorsque je le chuchote. C'est mon sang, épais comme de la lave, qui s'écoule dans ses veines et le fait vivre, remuer, flamboyer. Sa force tourne sur elle-même, portée par des accès de rage terribles, à la manière d'un fauve en cage dont le corps serait parcouru de flux électriques incontrôlables: mon môme est infini. L'aimer revient à s'injecter de minuscules bulles d'air dans le coeur et à boulotter des poussière d'Arsenic chaque fois que l'on croise son regard fondant. Je me noie en sa présence, j'étouffe lorsqu'il me manque et ma peau roussit légèrement au contact de ses mains d'enfant. Il me tue, à petit feu.

N'écoute que lui et luit et bouillonne comme un astre dont la carcasse crépite à en perforer l'Univers de son incandescence, je tourbillonne autour de sa corolle de feu, jouant mon rôle de satellite maternelle comme un manche, déviant souvent de ma trajectoire. Mais mon astéroïde de fils a, il y peu, croisé une planète dont l'attraction détient le pouvoir de calmer ses coups d'éclat : Kyla. Elle s'est pointée dans nos vies à pas de velours, drapée d'une étoffe cousue de discrétion, la bouille éclairée d'un amour liquide à goûter du bout de la langue. Les mots qui se bousculent à la frontière de ses lèvres émergent en trébuchant de sa bouche puis flottent vers nous, laissant leurs carcasses fondre contre notre peau meurtrie ; ils y apposent des pansements d'or inespérés. Avec elle, notre raison d'être renaît de ses cendres, l'équilibre est rétabli. Pourtant, ça ne va pas durer. Je sais que le Temps se plait à dévorer mes os, à les broyer sous ses molaires expertes et qu'il adore baver dans mon sang qui coagule; ma sueur a comme un gout de cuivre, mes larmes sont vermeilles. Je caresse une fois encore l'arrête de sa mâchoire bien dessinée puis me redresse, la vue brouillée de flotte, je me fous bien de ce qu'ils pensent, tous, il va falloir les démonter et les confondre, tous ces sceptiques sans âmes, qui semblent perpétuellement ailleurs. Ont-ils conscience de ce qui nous lie, de notre force? J'irai la confronter aux boutades, à la haine et aux jalousies, je brandirai mon poing aux doigts vernis en direction de Dieu, connard, et j'hisserai mon majeur afin que tous ressentent le frisson de l’errance au plus profond de leurs chairs.

Mon môme est à mon image. Brûle tout ce qu'il traverse et fonce droit sur un mur de glace qu'il sera difficile de briser.
Les grilles se referment sur ma trachée comme un étau, mon coeur s'emballe,
mon Prince, mon Prince!
debout sur ta planche à roulettes tu es si fier et libre de tout mépris,
mais moi, gonflée d’orgueil, en te laissant partir, je crois avoir brisé tes rêves
coupé ta trajectoire à coups de couteaux dans les veines
mon Prince, mon Roi,
je t'en supplie, pardonne à celle qui se meurt d'amour pour toi..


vendredi 25 décembre 2015

Singapore Sling

Nikos Nikolaidis - 1990
Deux silhouettes femelles, brouillées par la pluie, s'activent au fond du trou boueux, mêlant leurs mains pâles au pourpre des tripes qui se tortillent en vain, à l'orée des chairs. La sécheresse des gorges et autres voies d'ordinaire mouillées contraste avec l'humidité du cadre : la flotte bouffe la moitié du champ, les lames d'eau froide tombent dru, ruissellent et trempent tout ce qui se trouve à leur portée, trouvant tout de même le courage d'épargner l’incandescente cigarette pincée par deux doigts fins, fins et malades, deux doigts qui ont probablement déjà tout palpé, tout pénétré.
Se débarrassant de ses souvenirs par à-coups, comme si elle vomissait d'antiques cafards incommodants, la fille dégage une fraicheur candide bouillonnante; ses yeux rieurs sont deux tableaux en perpétuel mouvement qui attirent l'attention. La caméra, tout aussi dérangée que les deux femmes, multiplie les angles de prise de vue à l'instar du cerveau de la jeune fille qui se défragmente au gré des secondes qui coulent : à quatre pattes dans la remise, nue sur la bite d'un père momifié ou encore lovée dans un fauteuil moelleux, l'alternance de ces positions excitent l'objectif qui, du coup, va s'immiscer entre les plis des vêtements, derrière les rideaux de mousseline ou entre les chaines métalliques trompeuses d'ennuis. Les robes à froufrou peinent à cacher des poils pubiens qui ne demandent qu'à se frotter à la démesure de leurs jeux, tout devient prétexte à se masturber. Jubilatoire , Singapore Sling l'est à fond, tant les deux actrices accros au sexe et au plaisir laissent entrevoir, sur les traits coquins de leurs visages, les lignes plus sérieuses d'une ironie grivoise qu'elles tentent d'apprivoiser.
Les doigts crispés sur son sein secoué de tremblements, la mère vacille et choit sur le parquet, narguant l'inspecteur endormi. Quant à cette bouche, parcourue de dents régulières et blanches, elle se plait à mâchouiller le langage aussi bien que les chairs, offrant ainsi au spectateur une bouillie de mots - orgasmes ébouriffants, essentiels.


jeudi 3 septembre 2015

Dheepan

Jacques Audiard - 2015


Pourquoi ai-je fui ce soir? 


Il y a bien longtemps qu'ils ont perdu leurs âmes, arrachées de leurs corps à coups de crocs et de mitrailles, sous les prunelles bouillonnantes d'un pachyderme de feu. Habitées par la fuite, Illayaal - l'enfant, et Yalini - la jeune femme, n'hésitent pas à se dévêtir pour endosser l'identité toute autre de la Liberté. Le regard hanté par le deuil, Dheepan, quasi-mutique sous ses mèches sombres, tente la normalité, enfouissant au plus profond de son être, derrière un voile de branchages équatoriaux, l'animal majestueux qu'il eut été un jour. Pourtant, cette Terre Promise fracturée aura-t-elle raison de lui? À quelques pas de leur modeste refuge se dressent les tours d'un Roi cruel, dont les immenses pupilles renvoient d'étranges reflets.. Des armes pour l'intrépide Monarque à la gâchette facile contre quelques échanges silencieux à la douceur fragile - Les deux femmes, en fuite perpétuelle (sur l'affiche, déjà, leurs corps évoluaient hors cadre) contrastent avec Dheepan, sinistre guerrier maudit, dont l'obsession de garder son territoire grandit de jour en jour.

Jusqu'au sursaut du réveil, les 3 respirations flottent entre les murs en symbiose ; mais prenez-garde, fugitifs, la tranquillité est éphémère! 

Lorsqu'il voit son avenir menacé par les troupes encapuchonnées, Dheepan se métamorphose : cheveux plaqués en arrière, regard moins fuyant et le front dégagé,  c'est en rescapé des Limbes qu'il s'éveille : diverses lames entre les doigts , respiration haletante, l'ardent soldat déploie ses armes comme l'éléphant ses oreilles, couvrant d'une ombre sépulcrale les formes et les êtres environnants. La puissance Romanesque du film d'Audiard est hors de portée, si colossale, sorte de bête majestueuse au squelette mordoré, qu'il serait impensable de la capturer.  

samedi 1 août 2015

Love

Gaspar Noé - 2015 



Hublots lourdingues en équilibre instable sur le nez, main sur l’élastique du pantalon, balance la sauce Gaspar, on frétille du caleçon.

L'affiche baveuse au goût tendresse est à l'image du film : bancale. Le cliché t'allume sans réelle classe, puis te léchouille vaguement le creux du cou, pour s'effacer dans un souffle - relent de foutre électrique au fond de la gorge, poils hirsutes et indisciplinés en guise de souvenir, la nuit s'annonce sanguinaire.
Une bonne moitié du film est à jeter : préservatif souillé, lourdé contre un trottoir, l'ouverture manquée fait figure de préliminaires malingres, bâclés.
Malgré ces débuts difficiles , et à l'instar du couple exalté, le film prend peu à peu confiance en lui ; le bougre s'aventure en terrain miné, ENFIN!, soulevant les filles , déliant les langues et broyant les chairs à tour de bite, ne devenant passionnant que lorsqu'il transgresse ses propres règles : mi-trash , mi-niaise, la pellicule se gonfle d'orgueil lors de quelques passages romantiques improbables ( un simple dîner, une promenade), puis écarte allègrement ses cuisses afin de nous éblouir le temps d'un ébat mieux troussé qu'un autre. Gaspar Noé a beau nous proposer un film d'une vaine vanité, dont l'égo sur-dimensionné ruissèle à perdre haleine , l'alchimiste des sens épate - une fois encore- tant la technique est maitrisée. 


Love s'éclate à nous prendre en levrette : la position est familière, le plaisir inconstant; pourtant, bien après la séance, à la lueur d'une ampoule grésillante , il ne serait pas étonnant d'apercevoir, sur le ventre d'une conquête aux cheveux ambrés, l'ombre sibylline de Murphy, errant sur la chair laiteuse de l'amante dont le destin est scellé ..

samedi 20 juin 2015

L'île Nue

Kaneto Shindô - 1960

La justesse des corps ployés sous l'effort, protégés par l'Astre invisible, hypnotise.
Que font-il là, solitaires et courbés, usant leurs forces jusqu'à la mort? cultures miteuses, infertiles, les avez-vous ensorcelés?  habile métaphore du drame Hiroshima  la maladie foudroyante qui frappe l'aîné de manière imprévisible, fait suffoquer. Quelques instants plus tôt, les 4 fantômes reprenaient vie à bord d'un gros bateau blanc,  sublime torpille mécanique, puis déambulaient, sourire aux lèvres, dans la grande ville..
Les phrases m'arrivent par bribes, léchées au tronc par le ressac sucré des vagues -- lorsque la mère verse ses larmes d'eau douce sous le regard magnétique de son mari, le cadrage frôle le mystique. On s'attendrait presque à voir surgir le fils de terre, cheveux en bataille et sabre au poing, souriant vers ses parents, pour ensuite...
Une routine musicale traverse le film, tout de même parsemée d'une poignée d'écarts subtils, jetés à la figure du spectateur à la manière de la gifle silencieuse,

laissons-les, à présent, sur leur île maudite,
l’Éternité les réclame 



mercredi 10 juin 2015

Suzanne

Katell Quillévéré - 2013



Trimballant son mioche d'un plan à l'autre comme un vagabond sa mélancolie, Suzanne déstabilise ses proches avec aisance. L'objectif a parfois du mal à la suivre, semblant ne jamais réussir à la cerner ; son père, perdu sur d'éternelles routes invisibles ne percute pas grand chose. Largué devant l’éternel, ses deux gamines sous le bras, le bougre se donne du mal pour tenter de les faire survivre, malgré la distance qui les sépare - car même s'il peut les toucher du bout des doigts, Suz' et sa frangine font bel et bien partie d'un autre monde. Monotone et apaisé pour l'une, langoureux / décérébré pour l'autre. Les deux midinettes se jettent à corps perdu dans l'aventure.. Rien ne trouble leurs plus profondes pulsions, pas même les murs moites d'une prison sans amour. *Katell Quillévéré* dirige son film avec intelligence : des luttes et des remous, il en saisit l'essentiel, découvrant avec délicatesse toute l'étendue de son carnage : Suzanne , à l'instar des véhicules lancés à fond sur le bitume craquelé, n'est qu'une insaisissable chimère dont l'âme entière appartient à un colosse aux mains d'argiles. Mais, pour combien de temps? 

dimanche 8 mars 2015

mardi 24 février 2015

It Follows

David Robert Mitchell - 2015

Jolie gamine aux jambes crémeuses, pourquoi fuis-tu?
-----
Dos à l'océan, la silhouette, grignotée par les phares de sa bagnole, annone de tremblants adieux par téléphone. L'halène de la nuit crépite de milles parasites, invisibles insectes nichés aux quatre coins des plans et le silence, étouffant, d'un coup de langue la condamne.
Sur la croûte sans sommeil de la chair adolescente, s'attarde un objectif dont la placidité surprend ; la caméra sait se montrer discrète, permettant ainsi aux corps de s'exprimer comme bon leur semble, de se rouler en boule dans le coin d'une chambre ou de s'étaler , à l'aise, sur le capot d'une voiture. Le film s'impose par sa jeunesse, amorphe, soudée, fourbe mais fidèle; les liens de coeur/d'égo, sont mis en avant, et permettent au récit de se développer autour d'eux, ondulant entre les drames personnels et la violence d'une menace omniprésente, qui ne se gène pas pour transgresser les règles, étalant sa haine hors-limites, flinguant la raison à coups de griffes cannibales.
À l'heure du tout numérique, où les âmes adolescentes sont aspirées par les écrans de poche et où l'on tweet comme on respire, balancer un slasher nommé 'It Follows' sur les toiles est une putain de bonne idée. La baise comme transmetteur et l'Autre comme ennemi, voilà ton calvaire. Tes armes? La confiance aveugle de tes potes et le mouvement, se déplacer, avaler la distance tout en supportant la fatigue qui croît, inlassablement, étirant les chairs au maximum. David Robert Mitchell nous offre son cauchemar en pellicule de sang, la peau usée par les poursuites, suintante de chlore et d'espérance...

samedi 14 février 2015

Le château de Cagliostro

Hayao Miyazaki - 1979


En guise de prélude, Lupin et son comparse nous offrent un braquage survolté, à grands coups de volant , de bagnoles trafiquées et de billets à l'encre humide. Puis, tandis qu'il se noie sous un océan de bifton, le voleur gentleman a une idée: revenir à l'un de ses plus cuisants échecs : le Château de Cagliostro. Tuerie de générique jazzy aux couleurs mélancoliques, non sans rappeler le temps qui court, les bras chargés de nos jeunesses ; le dos calé sur le siège arrière, nous voilà partis à l'Aventure.

À la vue de la délicate princesse emprisonnée, le voleur se mue en Chevalier facétieux, guidé par des pulsions romanesques ; Miyazaki esquisse avec finesse l'amour naissant de ce couple improbable. De leurs regards, de leurs caresses, éclot un équilibre dévoué, de toute son âme à leur juste cause. 

Le rythme soutenu du film n'est jamais un frein au plaisir pur. Lupin s'agite certes beaucoup, mais chacune de ses oscillations finit toujours par trouver une finalité, qu'elle nous fasse rire ou nous étonne. Les personnages jouissent d'une liberté de mouvements hallucinante - le château du terrible Cagliostro devient le théâtre de tous les possibles: truffé de pièges, de passages secrets et protégé par une armée des Ombres fascinante, l'on passe d'une pièce à l'autre en un soupir, guidé par deux flux perpétuellement en mouvement : l'eau et l'amour. Le réalisateur, mécanicien du rythme, s'amuse à faire contraster les scènes de bastonnade générale avec les scènes plus intimes, où Lupin se retrouve face à un interlocuteur unique, que ce soit sa promise, son rival, son alter Ego de flic ou bien le chien, symbole de son échec passé, mais également de sa renaissance. On le découvre alors plus maladroit, plus attentif, tentant gauchement de cacher son dévouement par d'innombrables contorsions.
Tout le film repose sur cet équilibre fragile d'horloger, façonné de contrastes, et c'est sur les aiguilles de la grande Tour que le maître voleur dévoilera son âme, l'oeil pétillant, fixé sur l'horizon.

mardi 10 février 2015

Foxcatcher

Bennett Miller - 2015

Tassé sur son trône aux lignes massives , l'épervier toise la plèbe de son regard carnassier, la bouche entr'ouverte sur l'objectif, prêt à engloutir l'Amérique entière, des orteils à la poitrine .. Un jeune lutteur un peu groggy par les frappes parfaites de son frangin, fraichement débarqué en hélico , trimballe ses larges épaules inébranlables de pièce en pièce, imprégnant le parquet ciré d'une odeur doucereuse de sueur au goût grisaille . Collant ses mirettes au métal froid d'une paire de jumelles ambrées, le voilà qui découvre la biche d'or, l'intouchable maitresse des lieux , juchée sur l'échine de son cheval aux ailes tranchées - si l'on prête attentivement l'oreille, à l'aurore, lorsque l'on se promène aux côtés des geais moqueurs fraichement réveillés, on peut aisément déceler le piaffement des montures faméliques, qui foulent dignement la semence égrainée par les propriétaires des lieux depuis des siècles et des siècles.. Le squelette du renard aux mouvements apathiques hante les immenses pièces de la demeure, habitée depuis toujours par des effluves d'une folie milliardaire bâtie à coups de mitrailleuse, de solitude et d'un dédain princier pour tout ce qui touche au respect de l'homme, de son combat. Le museau plongé dans un tas de poudreuse, le mammifère sent qu'il est temps pour lui de fuir , de déguerpir le plus loin possible , mais pour d'autres il est trop tard, les serres avides de l'Oiseau Fou sont plantées au plus profond des chairs.
Foxcatcher , à la manière d'un animal en chasse, s'immisce lentement dans les esprits, sans se presser. Au fil des secondes qui s’égrainent et recouvrent l'immense propriété d'un pelage froid de neige immaculée, le prédateur déploie ses ailes au maximum, lacérant l'air de son bec, en un râle furieux . La lourdeur des plans entrave quelque peu nos mouvements, impossible de se replier ou même de souffler ; tête à côte irréel avec le diable, et, d'une prise au sol fatale, se crash le volatile.. inconscient, il expose son corps informe et disgracieux aux yeux de tous, espérant encore éblouir une nation depuis toujours désintéressée, et que peut faire une petite cervelle de moineau, face à cette infinie vague d'aliénation?
Il est difficile d'aimer Foxcatcher tant il est farouche et pesant.. Pourtant, une fois la chasse close, on se surprend à repenser à l'animal, et c'est d'un doigt tremblant que l'on caresse la détente...

mardi 20 janvier 2015

The Day He Arrives

Hong Sang-soo - 2001




Emmitouflé dans sa veste rembourrée, un sac à dos fixé aux épaules, Sungjoon déambule dans les méandres de ses souvenirs, le nez fixé vers les nuages qui s'en donnent à coeur joie. Du ciel blanchâtre dégringolent d'audacieux flocons de neige , et ces petits fragments de vie s'accrochent dans les cheveux, sur les manteaux, aux coins des yeux. Le réalisateur trimballe avec lui ses habitudes d'amoureux de l'objectif. La façon dont il gère les espaces, dont il observe les différentes femmes qu'il côtoie, donne l'impression qu'il n'a jamais vraiment quitté sa caméra : c'est lui qui donne le rythme à chaque fois, qui place les autres acteurs comme bon lui semble, disposant à sa guise des figurants. Guidé par une envie terrible d'extase, Sungjoon, en quelques jours seulement, perturbe le tranquille équilibre du quartier de Séoul dont il s'approprie l'âme , rattrapant au vol des bribes entières de sa mémoire. Le film, en apparence très posé, offre pourtant de grands instants de fougue, et toute la frénésie contenue des personnages éclate sans crier gare, dans une minuscule chambre triste ou au détour d'une rue déserte, symbolisée par un baiser teinté de solitude dont les amants semblent se repaitre comme si c'était leur dernier repas. 


Hong Sang-soo captive les esprits sans s'agiter. L'intérêt du film réside dans les détails, les discussions échangées au dessus de verres troubles, dans les lieux que l'on retrouve mainte fois. En fait, on se sent un peu chez nous, quand bien même le film ne dure qu'une heure et quart, c'est à se demander s'il n'est pas magicien. Sungjoon lui-même se retrouve pris au piège, la silhouette lacérée par les griffes du Temps, le regard troublé par sa prise de conscience : est-il, finalement, trop tard?








samedi 17 janvier 2015

My Son, My Son, what have Ye done?

Werner Herzog - 2009


Un titre tout en parole, les derniers mots de l'Être par qui est né le Monstre. A moins que ce murmure ne vienne d'en haut, comme l'insinue le troupeau de nuages amassés au dessus du fils. Obsédé par les oiseaux terrestres , mariés à la poussière pour l'éternité, Hanté par la grâce, l'enfant terrible annone des paroles incohérentes à la face de sa dulcinée , à la masse cette gamine, aveuglée. La maison flamants roses, coulisse d'un théâtre permanent, se retrouve, un beau matin de printemps, en état de siège. Tout le quartier est en alerte, Il a frappé dans la baraque des voisins, Herzog s’engouffre dans une gigantesque faille temporelle au goût folie et nous entraine dans les rapides, bien décidé à nous faire boire la tasse. L'aisance du réalisateur pour nous dépeindre des personnages improbables ne faiblit pas, bien au contraire. Taillés à même le vice, les voilà qui s’immiscent sur la scène de crime, vaguement interrogés par l'inspecteur au regard d'acier. Tous ont trempé dans la liqueur divine et trimballent , de plan en plan, les séquelles causées par un Michael Shannon en grande forme. Il a beau être seul contre le monde, sa silhouette est celle d'un prophète aux multiples confessions et son anatomie tout entière, de la pointe de son sabre au bout de ses cheveux bouclés , annoncent la prophétie : l'Histoire se répète, sorte de sphère couleur ballon de basket, et le flambeau doit être passé. Mais à quel prix?