mardi 28 octobre 2014

Fury

David Ayer - 2014 




Robuste et fier, l'animal aux lourdes chenilles cuivrées, tapi dans l'ombre rassurante d'un cimetière monochrome, observe à travers l'oeil de son canon 75 mm la proie.. Vêtu d'un uniforme souillé, Hadès, juché sur sa monture immaculée, trotte imprudemment entre les carcasses carbonisées des multiples chars tombés au combat, écrabouillés par la Fureur du conflit et régurgités pêle-mêle sur le sol bourbeux de cette Plaine des asphodèles hantée par une poignée de chimères dont les gueules fatiguées n'entravent aucunement leur envie d'en découdre ; le regard souligné de crasse, les cheveux plaqués à l'arrière de son crâne épuisé, Wardaddy jaillit sur son bourreau, découpe silencieusement sa chair et , scrutant le fond de l'âme du blanc cheval, dicte son message aux Puissants: pas encore. Revenu d'entre les morts , Fury, et, à son bord, les 4 trompe-la-mort hirsutes, s’octroie quelques instants de pause, ce qu'il faut de temps pour se réapprovisionner en munitions et embarquer un gamin au regard éthéré, symbole (un poil trop étudié) d'une jeunesse intacte porteuse d'espoir.. La bordélique équipée s'engage alors sur une route pavée de corps fangeux, roulant allègrement sur ces squelettes broyés à l’extrême , avalés par un sol hostile pétri de pièges... David Ayer alterne les points de vue (celui du char, de Wardaddy et d'la recrue) avec aisance et nous propulse dans l’âpreté de combats virulents, mâtinés de fougue, modulant l'espace-temps au gré de la folie de ses personnages : impossible d'occulter la dureté des images, l'agressivité des corps hurlant à la frontière du Trépas. Les chairs sont malaxées par les griffes de la Guerre, les âmes saignent, les viandes boursouflées de cadavres ambulants hantent la plupart des plans, et ce sont bien des larmes d'eau bénite qui ruissèlent sur les joues du Christ assassiné par balles 7 mm, dépassé par l'horreur d'une réalité à laquelle il n'appartient plus depuis son sacrifice . Des cendres du monde annihilé s'élève en volutes discrètes une vulnérable mélodie composée sur les restes d'un piano centenaire. Les touches égratignées de l'instrument témoignent de la présence de cette armée de spectres aux vies tronquées, qui à jamais se battent, à leur manière, contre l'indifférence.